La sinueuse logique des «game states»
L'écart au score est un facteur essentiel à prendre en compte quand on analyse les statistiques d'un match. Explications.
Il est une notion qui importe autant aux analystes qu’aux parieurs, celle du game state. Dans sa définition la plus élémentaire, l’«état de jeu» détermine le statut du match, pour une équipe donnée à un moment donné :
l’équipe mène au score,
elle est menée au score,
ou il y a un score de parité
On optera souvent pour une version plus sophistiquée de cet indicateur, en tenant compte de la différence de but. Ce sera le cas ici, mais en se limitant à cinq états :
-2 : l’équipe a deux buts ou plus de retard
-1 : l’équipe a un but de retard
0 : score de parité
1 : l’équipe mène d’un but
2 : l’équipe mène de deux buts ou plus
Une granularité trop fine dans le découpage peut entraîner des échantillons peu significatifs. À l’opposé, un découpage trop grossier nous ferait rater quelques subtilités que nous détaillerons plus bas.
Mais avant cela, regardons comment les game states se décomposent pour chaque équipe de Ligue 1 cette saison. Sans surprise, c’est le PSG qui passe le plus de temps dans un état positif (presque 50 % de son temps de jeu cette saison), contre seulement 8,6 % à courir après le score, dont 1 % seulement en étant mené de 2 buts (c’est arrivé au cours d’un seul match, à Nice, seule défaite en championnat pour l’instant1, score final 3-2). À l’autre bout du spectre, on trouve Lyon, mené 47 % du temps. Pire, il faut attendre la 8e journée, face à Lorient2, pour voir l’équipe rhodanienne enfin mener au score. Autre enseignement notable, l’OGC Nice - 2e à l’issue de la 19e journée - passe près de 60 % de son temps de jeu avec un score nul.
Le score effect ou comment le game state change le comportement d’une équipe
Mais l’intérêt des game states réside ailleurs, dans ce que l’on nomme le score effect. Une équipe menée aura tendance à accélérer la cadence, notamment celle de ses tirs. À l’inverse, l’équipe avec l’avantage va naturellement se replier. Difficile de distinguer la stratégie de la contrainte presque mécanique qui s’exerce ici.
L’exemple du RC Lens 2023-2024 est parlant. Les Lensois prennent 64 % des tirs sur les phases où ils sont menés d’un but, contre 44 % seulement dans la situation inverse. Même constat en volume pur : les sang et or tirent 14,1 fois par 90 minutes lorsqu’ils sont menés d’un but. Un chiffre qui chute à 7,3 quand ils ont un avantage d’un but.
Une dynamique particulièrement marquée si on comptabilise les tirs, mais qui l’est moins en considérant les buts, les xG (expected goals) ou même les frappes cadrées. Car la hausse de la fréquence (ou de la part) des tirs lorsqu’on est mené ne se matérialise pas nécessairement par un gain comptable, comme a pu l’apprendre à ses dépens Charles Reep3. D’abord parce qu’il est a priori toujours aussi difficile de marquer : l’équipe qui mène ne s’affaiblit pas soudainement, même si elle peut devenir plus fébrile avec le changement de rythme. Simplement, l’équipe menée va tenter plus souvent de concrétiser ses situations offensives par des tirs, quitte à ce qu’ils aient une espérance de marquer plus faible.
Une mécanique loin d’être linéaire. Pire, lorsqu’on l’étudie sur un très grand nombre de matchs, on constate qu’elle s’inverse dès qu’il y a deux buts d’écart ou plus : une équipe tire plus que son adversaire si elle est menée d’un seul but, mais si l’écart croît d’avantage, sa part des tirs diminue jusqu’à devenir inférieure à celle de son opposant4, comme le montre ce chart de @11tegen11.
Outre le fait qu’un deuxième but d’écart peut «tuer le match» et décourage l’équipe menée, on peut également supposer qu’une différence de deux buts ou plus révèle une emprise sur le match difficile à contrarier. Finalement, l’électrochoc du game state opère surtout quand le résultat change (victoire, nul ou défaite).
Le lien de la semaine
McKay Johns, infatigable vulgarisateur de soccer analytics, explique, dans une récente vidéo, les bases pour bien débuter dans ce domaine en 2024.
Rapport du match Paris Saint-Germain - Nice – Vendredi 15 Septembre 2023, FBRef
Football Analytics – Part Five: Game States and Score Effects, ONESHORTCORNER